Santé Sénégal – Le guide d’Information Santé et Prévention

Sénégal : La CMU allège-t-elle les frais de santé des personnes vivant avec le VIH ?

En 2005, l’OMS a appelé les États à appliquer une « gratuité totale des médicaments et des soins pour les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) dans les pays à ressources limitées ». Cette gratuité était considérée comme « l’un des piliers de l’approche de santé publique » dans la perspective d’une généralisation de l’accès aux traitements du VIH.

Seize ans après, si les traitements antirétroviraux (ARV) sont globalement disponibles et gratuits dans la plupart des pays, force est de constater qu’un grand nombre de frais de santé (consultations, examens de laboratoire, médicaments pour les infections opportunistes) restent payants pour les patients.

Dans des pays où la majeure partie de la population dispose de très peu de ressources, le paiement réduit l’accès aux soins. Le recours tardif ou le non-recours aux soins, dans l’infection à VIH, augmentent le risque de mauvaise observance aux traitements, de dégradation de l’état de santé et de transmission du virus.

Dans les pays du Nord, les soins liés au VIH sont généralement pris en charge par les dispositifs de protection sociale. En Afrique subsaharienne, ces dispositifs étaient encore peu développés il y a quelques années, pour diverses raisons : difficultés à organiser les cotisations à l’échelle de pays où la majorité des actifs travaillent dans le système informel ; faible capacité contributive des ménages ; faible performance des structures de santé étatiques…

Néanmoins, depuis les années 2010, on assiste à une évolution importante : un consensus international considère la Couverture sanitaire universelle (CSU) comme l’outil le plus performant pour réduire les inégalités et favoriser l’accès aux soins dans les pays du Sud. La plupart des pays africains se sont engagés à mettre en place une CSU.

Dans le contexte actuel de baisse des financements internationaux accordés au VIH, le développement des CSU est perçu par l’ONUSIDA comme une opportunité pour financer l’accès aux soins liés au VIH. Aucune stratégie n’ayant été définie au niveau international pour intégrer ces dépenses dans les dispositifs de CSU, chaque pays compose en fonction de l’organisation de son système de santé.

Dans les pays qui se sont engagés dans la mise en place de la CSU, quelles stratégies sont efficaces ? Permettent-elles d’améliorer l’accès aux soins des PVVIH ? Une étude a été menée au Sénégal pour analyser l’impact de la Couverture sanitaire universelle sur les dépenses de santé des personnes vivant avec le VIH.

La CSU au Sénégal
Au Sénégal, sur les 39 000 personnes vivant avec le VIH, environ 30 000 (77 %) prennent des antirétroviraux. Les médicaments et certains examens biologiques sont gratuits, mais une partie des soins liés au VIH reste à la charge des patients.

En 2013, l’État sénégalais a initié la mise en place d’une couverture sanitaire universelle, nommée Couverture médicale universelle (CMU). L’objectif est de fédérer et d’étendre différents mécanismes : les dispositifs destinés aux fonctionnaires et aux salariés du secteur privé (environ un tiers de la population active), les gratuités pour certaines populations ou certaines maladies, et l’affiliation à des mutuelles de santé.

En 2021, il existe plus de 600 mutuelles de santé communautaires, qui ont été créées sur le principe « un/e village/commune, une mutuelle ». L’État subventionne 50 % du montant des cotisations annuelles et la totalité pour certaines catégories de population vulnérables. Les gratuités des prestations concernent les personnes âgées (Plan Sésame), les enfants de âgés de zéro à cinq ans, les femmes enceintes (césariennes) et la prise en charge de certaines pathologies (VIH, tuberculose, insuffisance rénale).

Ces gratuités sont en réalité partielles : elles concernent un paquet limité de services, avec des restrictions sur les lieux de délivrance (respect de la pyramide sanitaire), le type de médicaments (médicaments essentiels génériques) et de prestations (parfois limitées aux consultations).

Dans le cadre du VIH, la gratuité ne concerne que les ARV et certains examens biologiques, mais le dispositif actuel devrait permettre à certaines populations (jeunes enfants, personnes âgées) et aux personnes bénéficiant d’une couverture sanitaire, d’assurer la prise en charge des soins.

Une étude dans le cadre d’UNISSAHEL
Dans le cadre du programme multipays UNISSAHEL, financé par l’Agence française de développement (AFD) et mis en œuvre par l’Institut de recherche pour le développement (IRD), notre étude a cherché à évaluer l’impact de la CMU sur la réduction des dépenses de santé des PVVIH, de leur point de vue.

Entre 2018 et 2019, des enquêtes ont été menées dans 25 des 183 sites de prise en charge du VIH du Sénégal. Elles ont concerné trois groupes de PVVIH :

Les informations collectées au sortir d’une consultation de routine ont permis de calculer le montant du « reste à charge » du patient, celui-ci étant défini comme « la part de la dépense de santé que les personnes ont à payer directement lors des soins, après intervention de l’assurance maladie, de l’État ou des organismes d’assurance maladie complémentaire ».

Les consultations de routine pour les PVVIH ont lieu généralement tous les trois mois, quelle que soit la structure de santé et la localité. Elles comprennent la consultation par le médecin ou l’infirmier, la dispensation des ARV (gratuits), éventuellement la prescription d’examens biologiques et, en cas de maladie, d’autres examens paracliniques et des ordonnances de médicaments.

Une faible proportion de personnes bénéficiant d’une couverture médicale
L’étude montre une faible proportion de PVVIH bénéficiant d’une couverture médicale (mutuelle de santé ou assurance) ou d’une gratuité (Plan Sésame ou dispositif 0-5 ans) des personnes enquêtées : 26 % chez les adultes suivis au CRCF, 18 % pour les HSH et 44 % pour les enfants.

Pour les PVVIH adultes, on note un faible taux d’adhésion aux mutuelles communautaires (de 5 à 10 % d’entre elles), principalement lié à la crainte du dévoilement de leur séropositivité et aux stratégies de nombreux gestionnaires de mutuelles communautaires consistant à dissuader l’adhésion de personnes présentant des maladies chroniques de peur d’un déséquilibre financier.

Une faible utilisation des services
Toutes les personnes disposant d’une couverture sanitaire n’en font pas systématiquement usage pour diverses raisons : la complexité des procédures (nécessité d’aller chercher au préalable une lettre de garantie au siège de la mutuelle) ; la distance entre l’hôpital et les bureaux de l’organisme de prise en charge ; le principe de la pyramide sanitaire (les mutuelles de santé ne prennent en charge que les soins effectués dans les centres de santé alors que les PVVIH sont souvent suivies dans des hôpitaux) ; la crainte du dévoilement de leur maladie par les organismes de remboursement.

De plus, les médicaments pris en charge partiellement ou en totalité par ces organismes sont les médicaments essentiels fournis par l’État, souvent en pénurie dans les pharmacies des structures sanitaires publiques. Les patients doivent alors se fournir dans des officines privées en médicaments de spécialité peu ou pas remboursés.

Un reste à charge élevé
Nos observations révèlent que le reste à charge médical moyen d’une consultation de routine est compris entre 5 000 F CFA (pour les enfants et les adolescents) et 21 000 F CFA (pour les adultes et les HSH). À ce montant, il convient d’ajouter les frais de transport. Le reste à charge moyen total pour une consultation de routine, comprenant les frais de transport, varie entre de 7 500 F CFA à 21 000 F CFA par consultation.

Ce montant s’avère très élevé en proportion des ressources des patients. En effet, au Sénégal, la dépense quotidienne moyenne est de 1 500 F CFA par personne par jour ; de plus, près de 38 % de la population vit avec 950 F CFA par personne par jour, qui représente le seuil de pauvreté national calculé en 2019.

Le reste à charge moyen d’une consultation représente donc de 8 à 23 jours de dépense quotidienne. Cette dépense entre en concurrence avec les besoins de base, notamment alimentaires, qui captent habituellement plus de la moitié des ressources des ménages.

CMU senegal Medecins

Un faible impact de la CMU chez les enfants
Chez les enfants de l’étude, la couverture sanitaire est théoriquement assurée par deux mécanismes : la gratuité pour ceux âgés de 0 à 5 ans, ou l’affiliation à des mutuelles de santé communautaire.

Nous n’observons pas de différences significatives dans le montant du reste à charge, que les enfants bénéficient ou non d’une mutuelle de santé ou de la gratuité liée à l’âge. Cela s’explique essentiellement par la faiblesse de l’offre de soins dans les structures de santé décentralisées et la limite des prestations prises en charge par le dispositif de CMU.

Maintenir un soutien spécifique pour les PVVIH et accompagner le développement de la CSU
Notre étude révèle que la CMU au Sénégal est encore peu performante pour améliorer la prise en charge des soins des PVVIH : elle couvre peu de personnes, son utilisation par les usagers est limitée, elle ne permet pas de réduire de manière sensible le reste à charge pour les personnes couvertes.

Ces observations confortent la nécessité de maintenir un soutien spécifique pour les PVVIH et de renforcer le développement de la CMU.

D’une manière plus générale, la CSU est souvent évoquée comme solution pour pallier aux ressources insuffisantes que les pays du Sud peuvent consacrer à la lutte contre le VIH. Mais l’étude montre que transférer aux CSU la mise en œuvre de la gratuité des soins pour le VIH est une stratégie inadaptée dans l’état actuel de leur développement.
Source Jabulani Sikhakhane
Ce texte est issu de l’article Taverne B., Laborde-Balen G., Diaw K., Gueye M., Have N.-N., Etard J.-F., et Sow K., « Does universal health coverage reduce out-of-pocket expenditures for medical consultations for people living with HIV in Senegal ? An exploratory cross-sectional study », _BMJ Open, vol. 11, no 7, juillet 2021.

Avec la contribution de Khaly Diaw, Association Adama, Dakar, Sénégal ; Madjiguene Gueye, Centre régional de recherche et de formation à la prise en charge clinique de Fann (CRCF), Dakar, Sénégal ; et Ndeye-Ngone Have, Réseau national des associations de personnes vivant avec le VIH (RNP+), Dakar, Sénégal.

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