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Le désastre des faux médicaments

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A Dakar, les faux médicaments s’achètent entre les échoppes, mais c’est Touba, deuxième pôle économique sénégalais, aux mains de la puissante communauté religieuse des mourides, qui est le cœur du trafic.

«Tu en prends deux, deux fois par jour, au bout d’une semaine tu verras les résultats» Abdou tend des comprimés à une adolescente qui veut maigrir. «En pharmacie, c’est 18 000 FCFA, je te les fais à moitié prix», renchérit-il. La boîte vient d’Inde, pas de date d’expiration, juste la silhouette d’une blonde filiforme à forte poitrine. De quoi faire rêver la jeune cliente. Le nom du médicament, Apatin, est inconnu au bataillon. Il trône sur une petite table en bois, au milieu de produits pour développer son sexe ou amincir ses hanches. Sur le trottoir de l’avenue Blaise-Diagne, en plein centre-ville de Dakar, s’étend le marché Keur Serigne Bi. Le temple du faux médicament, mais aussi de celui issu du trafic, comme le Cytotec, destiné au traitement de l’ulcère, interdit en France. Les femmes s’en procurent ici sans ordonnance, pour avorter clandestinement et quel que soit le prix.

Entre les échoppes, les vendeurs apostrophent les passants. «Tu cherches quoi ? J’ai tout, mieux qu’à la pharmacie», lance un homme élancé, la quarantaine, boubou à la mode, lunettes de soleil vissées sur la tête. La boîte d’antidouleurs qu’il tient entre ses mains pour appâter le client est pourtant périmée et déjà annotée par un pharmacien. Son stock se trouve dans les arrière-boutiques. Impossible de le suivre ni d’en connaître la provenance. «Je me fournis au même endroit que tout le monde», rétorque le vendeur, sur la défensive. Au Sénégal, la route du faux médicament fait escale à Touba, la deuxième ville du pays. Le cœur du trafic, selon le Syndicat des pharmaciens privés du Sénégal, chiffres à l’appui : près de 350 officines clandestines y ont pignon sur rue, certaines ont des chiffres d’affaires qui dépassent les 195 000 000 F CFA. Des pharmacies en apparence régulières, mais jamais de cachet ni de facture accolés aux ordonnances. «On y fait du commerce comme dans les boutiques de quartier. Négociation des prix, prêt, vente au détail…» explique le docteur Assane Diop, président du syndicat. Un business lucratif, alimenté par un circuit en provenance de Gambie, de Guinée-Conakry et du Nigeria. D’autres cargaisons débarquent directement des pays asiatiques. Un marché qui représente 20 millions d’euros, estime le Syndicat des pharmaciens privés. Montant non confirmé par le ministère de la Santé.

En novembre 2017, c’est en banlieue de Touba qu’est saisie la plus importante quantité de médicaments contrefaits dans l’histoire du pays. 1,7 million d’euros de marchandises importées de Guinée. La douane porte plainte, l’ordre national des pharmaciens se constitue partie civile. Les deux trafiquants écopent d’une peine de sept et cinq ans de prison, assortie d’une amende de 3 000 euros et 300 000 euros de dommages et intérêts. Une première. Au Sénégal, le trafic de faux médicaments n’est pas pénalisé. Aucune législation spécifique n’existe et le pays n’a pas encore ratifié la convention européenne Medicrime, relative aux délits associés à la vente et la fabrication de produits médicaux falsifiés. «Ce procès, c’est déjà un pas franchi, assure-t-on au Syndicat des pharmaciens privés, mais Touba reste une zone de non-droit et c’est le nœud du problème.» Référence faite à la puissance de la communauté religieuse des mourides qui serait au centre du trafic. Un groupe qui a érigé Touba en deuxième économie du pays, convoitée de tout temps par le pouvoir politique. «Aucune enquête d’Interpol n’a osé y mettre les pieds, et nos autorités sont tout aussi frileuses», déplore un acteur du secteur. En 2016, un cas de décès a été enregistré à Touba, un homme, après avoir pris un faux médicament. L’enquête n’a pas eu de suite.

Au ministère de la Santé, on assure que le trafic a beaucoup diminué. Sa stratégie à Touba : implanter des pharmacies officielles pour couper l’herbe sous le pied aux structures clandestines. Une dizaine de nouvelles officines ont été ouvertes en deux ans et un comité national de lutte contre les faux médicaments a été créé, mais au maigre budget. «On tente de tarir les sources d’approvisionnement, explique le professeur Amadou Moctar Dieye, de la Direction de la pharmacie et du médicament. Renforcer le contrôle aux frontières, multiplier les descentes dans les entrepôts… On va vers un durcissement.»

Au Sénégal, 70 % des dépenses de santé des ménages concernent les médicaments. Mais les ordonnances coûtent cher pour une famille : 4,5 euros en moyenne par prescription. Et la moitié de la population ne bénéficie pas de la couverture maladie universelle. Mame Kiné patiente, assise par terre avec son nourrisson, dans le dispensaire de son quartier, à Rufisque en banlieue de Dakar. Elle n’a plus mis un pied au marché noir depuis que sa fille aînée n’a pas supporté un médicament acheté dans le circuit parallèle. Des douleurs au ventre terribles, quelques heures après avoir ingurgité une pilule. Ce matin, lors de sa consultation, le médecin lui propose de s’inscrire à un programme qui touche certains quartiers populaires de la ville.

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Jokkosanté, une plateforme de financement via mobile qui offre des points gratuits pour payer des ordonnances. «Mes trois enfants sont asthmatiques, chaque mois je peux dépenser jusqu’à 30 000 FCFA (45 euros) pour des ordonnances, explique la jeune mère de famille. On m’a plusieurs fois prescrit des médicaments, mais je n’avais pas d’argent, je n’ai pas pu les acheter.» Le téléphone de Mame Kiné vibre sur la table. Un SMS de JokkoSanté lui confirme sa prise en charge, elle vient de recevoir 5 000 points gratuits, soit 5 000 FCFA, 7,5 euros, pour payer sa prochaine prescription à la pharmacie. A l’origine de cette initiative, Adama Kane, un entrepreneur sénégalais qui veut démocratiser l’accès au médicament et lutter contre le trafic. Depuis 2015, il récolte des fonds auprès d’entreprises, de fondations et d’ONG qui servent à financer les ordonnances de populations vulnérables. Les patients sont orientés vers des pharmacies partenaires, JokkoSanté y paye les factures à la fin de chaque mois. «A notre manière, on s’attaque à la vente illicite de médicaments. Car permettre aux personnes démunies d’avoir les moyens de se payer une ordonnance dans une officine, c’est très important», soutient Adama Kane. 4 000 personnes en bénéficient déjà à Dakar et en banlieue.
Par Margot Chevance
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